La rétroaction, processus circulaire par lequel les effets d’un système interagissent avec leurs propres causes, a été sans doute l’un des déterminants culturels les plus importants du XXe siècle. Les calculateurs d’Alan Turing, les automates de John Von Neumann ou la cybernétique de Norbert Wiener ont concouru à l’apparition d’un nouveau genre de machines numériques aux prétentions anthropomorphiques et, d’autre part, à la concrétisation d’une pensée séculaire, mécano-morphique, qui assimile toute production humaine, en particulier intellectuelle, au résultat d’un calcul.
Dans les techniques du son, la boucle de réinjection d’une installation électroacoustique minimale peut produire un effet Larsen, bien connu des ingénieurs du son et des musiciens. On entend alors une sinusoïde d’amplitude maximale, modulée par les caractéristiques de son environnement. La résonance n’a plus seulement lieu dans le corps d’un instrument, en vue de stabiliser une hauteur ; elle s’étend désormais à l’espace d’un auditoire tout entier. Alvin Lucier (1931 – 2021) en fit une œuvre réflexive, emblématique : I am sitting in a room (1969), où le magnétophone enregistre itérativement sa propre diffusion d’un texte, lu par le compositeur, décrivant le dispositif en lui-même.
Plus la puissance de calcul augmente, plus la pensée du feedback est susceptible d’infléchir la conception traditionnelle d’une œuvre musicale. Au lieu d’un ordre de préséance allant du compositeur à la partition, puis de l’interprète à l’auditeur, l’incursion dans le champ musical d’un calcul « aussi rapide » que peut l’être l’audition permet une musique in situ, qui intègre dans le phénomène qu’elle convoque la réponse dynamique de son lieu d’émission. Là où l’œuvre feedforward doit anticiper une normalité de l’espace sonore pour s’y déployer, la rétroaction rend possible cet autre rapport où les conditions de propagation réelles du son modifient en temps-réel la logique de l’écriture, du moins son expression par la machine.
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- Cours aux étudiants du Cursus 2022-2023, salle Messaien, IRCAM, Paris